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Marseille gourmande - No 261

Marseille gourmande
Prix :
8,00 €

Chers lecteurs,
Malgré la morosité d’un quotidien affecté par bien des drames et
des inquiétudes, la fin de l’année civile incite traditionnellement
à la joie et à la découverte. Une période faste pour les papilles :
en Provence, les « Fêtes calendales » commencent le 4 décembre,
jour de la Sainte-Barbe, pour se terminer le 2 février avec la
Chandeleur, ses crêpes et ses navettes ! Voici donc pour vous
un numéro à… déguster, tant Marseille peut se flatter d’un
exceptionnel patrimoine gourmand.
Dans la Massalia phocéenne des origines et la Massilia romaine
qui lui succéda, on goûtait le nôgalon, le premier nougat noir des
Gaules, à base de miel sauvage, de cerneaux de noix, agrémenté de
pignons de pin, et des gâteaux au miel, tel le gastritis, une pâte de
noix et de miel fourrée entre deux galettes de farine. On appréciait
également l’artologus, dont la pâte était pétrie avec de l’huile, du
vin, du lait, autant de composants issus du terroir environnant.
Des millénaires durant, le nectar des fleurs de lavande, romarin,
ciste et thym butinés, resta le seul édulcorant, apportant sa
saveur parfumée et son pouvoir sucrant. Au Moyen âge, le sucre
de canne venu de Sicile, si rare, si précieux, était considéré à l’égal
d’un médicament. Après avoir étudié les archives financières
sauvegardées de la cour du « bon roi » René, comte de Provence,
il est agréable de vous rappeler que le prince demandait à son
apothicaire de lui préparer des noix « confites en miel, garnies de
girofle, cannelle, galnigal et graines de paradis » ou simplement
« en sucre », qui l’accompagnaient dans ses déplacements et
séjours.
Les pharmaciens de l’époque, il est vrai, se chargeaient de la
vente de sucreries et de confiseries considérées autant comme
remèdes que friandises. Il ne faut donc pas s’étonner de voir le
médecin-apothicaire de René lui confectionner à l’occasion un
« machepain de jalletz de sucre » (massepain en forme de petites
balles) « à tirer d’une des serbatanes» (sarbacanes), alliant ainsi
le jeu à la gourmandise !
Plaisirs de privilégiés, dont les banquets se terminaient par
l’arrivée de drageoirs, de confituriers, alors qu’étaient servis
dans des hanaps le muscat de Roquevaire ou l’hypocras, à base
de vin sucré infusé avec de la cannelle, des amandes, du musc
et de l’ambre… Ceci bien avant l’apparition du sucre et du cacao
exportés des « Indes occidentales » jusqu’à Marseille où ils furent
appréciés à leur juste valeur, malgré leur prix !
Un exotisme de bon aloi que les Marseillais accaparèrent précocement
en ouvrant des raffineries et des chocolateries, et en
diffusant leurs productions. La baisse des prix conduisit peu à peu
à un élargissement social de la consommation.
Après la Révolution et le blocus de la Royal Navy, synonymes
de privations, mais aussi du développement de la culture
betteravière en France, les Marseillais surent réactiver une partie
de leurs anciens réseaux. Des Suisses purent donner libre-cours
à leur savoir-faire. Des noms de familles apparurent : Castelmuro,
Linder et autres Probst ; de ce passé lointain, ceux des Plauchut et
Dromel restent inscrits sur des devantures.
Le goût du croquet casse-dents et de l’estevenoun - le gâteau de
la Saint-Etienne, sont désormais oubliés, comme d’ailleurs celui
de la chique marseillaise de Noël, le grand Curnonsky jugeant
cette dernière spécialité digne d’intégrer le Trésor gastronomique
de la France en 1933…, désormais passée de mode au profit des
chocolats fins, marrons glacés et autres mignardises.
Sachez profiter de la « Trêve des confiseurs » pour découvrir, à
loisir, ce que notre numéro 261 révèle d’une Marseille gourmande…,
de la saga du sucre Saint-Louis « depuis 1857 », du Chocolat Prado,
de l’énergétique Croque-fruits des Surréalistes, de cet amour
partagé des réglisses, chewing-gums et autres Mistral gagnant,
jusqu’aux flancs Mireille, rappels d’une enfance envolée.
Quelques rencontres avec des créateurs d’aujourd’hui, chocolatiers,
confiseurs et pâtissiers talentueux, vous permettront même de
réaliser les recettes qu’ils nous ont généreusement confiées. Mais
voici déjà l’épiphanie… et son gâteau des rois « aux pierreries
multicolores » comme l’écrivit le poète. Savourez, appréciez… et
partageons !
Bonne lecture et Joyeuses Fêtes !
Patrick BOULANGER